La colo de l’enfer

 

Le lendemain, Massalia déclara :

— Afin de vous familiariser avec les particularités de Kandarta, j’ai fait le nécessaire pour que vous exerciez, l’espace d’une semaine, la fonction de moniteurs dans un dortoir fortifié. Cette expérience vous sensibilisera aux dangers de la planète et augmentera vos chances de survie. Vous connaissez le vieil adage : « La plus grande force du vampire, c’est de réussir à faire croire qu’il n’existe pas. » Il en va de même pour la Dévoreuse, moins on croit à son existence, plus on est en danger.

 

Avant d’avoir eu le temps de réagir, Peggy, Sebastian et le chien bleu se retrouvèrent au pied d’un bâtiment cubique qui ressemblait davantage à un tombeau qu’à un dortoir.

— Je dois vous prévenir qu’il s’agit d’un abri réfrigéré, fit le chevalier.

— Un quoi ? glapirent les trois amis.

— Comme tous les animaux qui vivent dans un œuf la Dévoreuse déteste le froid, expliqua Massalia. Elle n’aime que le chaud et se tient à l’écart de la glace ou de la neige. Cela nous a donné l’idée de cacher nos enfants dans d’immenses réfrigérateurs aménagés en dortoir. Ainsi la température est trop basse pour que la bête vienne leur chercher noise. C’est une ruse assez habile, je trouve.

N’osant le contredire, Peggy examina le bâtiment dont les parois de brique étaient couvertes de buée.

— Un frigo… souffla-t-elle. Un frigo d’une hauteur de dix étages… c’est bien ça ?

— Oui, jusqu’à présent le stratagème a donné de bons résultats. Mais fabriquer du froid coûte cher, aussi cet abri est-il payant. On y accueille uniquement les enfants des seigneurs ou des riches marchands. Je vous souhaite un bon séjour.

 

Les gardes en faction entrebâillèrent les portes du bâtiment ; aussitôt Peggy fut giflée par une bourrasque polaire qui la fit reculer.

— Entrez ! ordonna la sentinelle, le froid est en train de s’échapper, on ne peut pas laisser la porte ouverte plus de cinq secondes. Vous trouverez des anoraks au vestiaire.

Et, d’une bourrade, il propulsa les adolescents dans le vestibule.

Peggy Sue écarquilla les yeux. Le plancher était couvert de givre et des pendeloques de glace hérissaient le plafond.

— On se croirait à l’intérieur d’un iceberg ! murmura Sébastian.

— On pèle de froid, oui ! grogna le chien bleu. J’ai déjà les pattes gelées. Je vous préviens, je n’ai pas la vocation de chien de traîneau !

 

Une armoire à demi ensevelie sous la neige trônait dans l’entrée, Peggy batailla pour en ouvrir les portes que le gel avait soudées. De vieux anoraks reprisés pendaient à une tringle. Elle s’en empara.

À peine avait-elle enfilé le sien qu’elle reçut une boule de neige durcie en plein visage.

Elle avait été lancée par un gosse d’une dizaine d’années qui venait de surgir au bout du couloir.

— Vous êtes les nouveaux monos ? leur cria-t-il, j’espère que vous connaissez des jeux amusants, on s’ennuie comme des rats morts ici !

Il portait un bonnet de laine rouge enfoncé jusqu’aux sourcils, et ricanait méchamment.

— Comment t’appelles-tu ? s’enquit Peggy Sue.

— Éric de la Lande noire du Bois-Joli, lança l’enfant, et je suis fils de baron. Si tu me punis, mon père te fera bâtonner par ses valets ! Vous, les monos, vous n’êtes que des serviteurs, alors n’essayez pas de faire la loi. V’z’êtes prévenus !

« Charmant bambin », songea Peggy en se forçant à sourire.

— Si tu nous faisais visiter la maison ? proposa-t-elle.

— Non ! grogna le garçonnet, ça m’ennuie, débrouillez-vous tout seuls. C’est quoi ce chien bleu idiot ? Est-ce qu’on pourra lui attacher des casseroles à la queue ?

— Tu peux toujours essayer, gronda l’animal, du moins si tu n’as pas peur de perdre trois ou quatre doigts, car mes crocs tranchent encore assez bien la viande de marmot.

Éric lui lança une nouvelle boule de neige que le chien bleu esquiva sans peine, puis il s’enfuit en hurlant : « Les nouveaux monos ! Les nouveaux monos sont arrivés, z’ont l’air de vrais crétins ! »

 

— Ça commence bien, marmonna Sébastian. Je sens que je vais botter un certain nombre de fesses dans les jours à venir.

— Du calme, fit Peggy. Écoutons ce que ces mioches ont à nous dire. Nous devons en apprendre le plus possible sur les coutumes de la planète.

 

Monter les escaliers s’avéra difficile car les marches étaient tapissées de glace. Il fallait se cramponner à la rampe pour éviter de perdre l’équilibre et de dévaler les étages sur le dos. Les enfants se pressaient sur les paliers pour accueillir les nouveaux moniteurs. Certains leur disaient poliment bonjour, mais d’autres leur adressaient de vilaines grimaces. Ils étaient tous emmitouflés dans des anoraks plus ou moins déchirés.

— Où dormez-vous ? leur demanda Peggy.

— Dans des igloos, expliqua une petite fille prénommée Chloé. Les anciens monos les ont construits dans les dortoirs parce qu’il faisait trop froid pour dormir dans des lits.

Peggy put vérifier qu’elle ne mentait pas. Chaque dortoir abritait une dizaine de gros igloos.

— On s’ennuie, se lamenta Chloé, au début c’était comme des vacances à la neige, on faisait du ski et de la luge dans les escaliers, mais ça dure depuis trop longtemps. Maintenant on veut rentrer chez nous.

Peggy Sue essayait de dominer son étonnement. Des bonshommes de neige trônaient dans les couloirs, les escaliers avaient été aménagés en piste de ski. L’eau avait gelé dans les baignoires et les lavabos.

— Le seul truc bien, ricana un garçon, c’est qu’on ne peut plus se laver depuis des semaines !

 

Au détour d’un corridor, Sébastian découvrit deux adultes gelés qu’il prit d’abord pour des statues bleuâtres. Les malheureux étaient morts pendant leur sommeil.

— Qui est-ce ? demanda-t-il.

— Les anciens monos, répondit Chloé. Ils ne voulaient pas nous laisser rentrer chez nous, alors Éric leur a mis du sirop pour dormir dans leur café. Ils se sont écroulés avant d’avoir pu rentrer dans leur igloo, et ils sont morts gelés.

— C’est affreux, s’exclama Peggy Sue.

La petite fille haussa les épaules.

— C’étaient juste des serviteurs, fit-elle distraitement. Et puis ils étaient très ennuyeux. Ils ne savaient pas inventer des jeux amusants. J’espère qu’on rigolera davantage avec vous.

Sébastian bouillait de colère.

— Si je comprends bien, il va falloir se tenir sur nos gardes, fit-il, les dents serrées.

 

*

 

Le dortoir réfrigéré abritait une centaine d’enfants issus des plus riches familles de la ville. Ils étaient tous maussades et multipliaient les mauvaises blagues pour tuer le temps. Peggy Sue tint à examiner les murs. La petite Chloé (qui en réalité se nommait Chloé Adélaïde Sophie de la Roche verte du Lac-Bleu… et était fille de duc) lui désigna les endroits où, en grattant le givre, on pouvait mettre au jour les balafres de ciment par où s’introduisaient, jadis, les tentacules de la Bête.

Se saisissant d’un racloir, Peggy frotta la paroi. Elle ne tarda pas à tomber sur des colmatages témoignant qu’on avait obturé de gros trous dans la maçonnerie.

— C’était avant qu’on installe le système de congélation, commenta obligeamment la petite fille. Ici, c’était un dortoir pour enfants pauvres. On se contentait de les enfermer dans des cages… Ça ne marchait pas, parce que la Dévoreuse est assez forte pour tordre les barreaux. Le froid est une meilleure protection. La Bête n’aime pas se geler les pattes.

Peggy examina la balafre de ciment.

— Les murs sont épais, fit Chloé, mais la Dévoreuse enlevait les briques une à une, pour s’ouvrir un passage. Ça finissait par creuser une espèce de couloir dans l’épaisseur de la cloison… et personne ne s’en rendait compte jusqu’au moment où sa patte jaillissait pour attraper un gosse de pauvre.

— Elle ne mange que des enfants ?

— Oui, elle n’aime pas le goût des adultes. Moi, à sa place je ferais pareil, sauf que je ne prendrais pas des enfants pauvres qui sont plutôt sales et sentent mauvais. Je mangerais des fils de duc ou de comte. Des princes, si j’en trouve.

Peggy Sue tapa dans ses mains pour se réchauffer. Quelqu’un lui lança méchamment une boule de neige remplie de cristaux de glace.

— Tu vas inventer de nouveaux jeux ? s’enquit Chloé. Tu as intérêt, parce que sinon Éric et ses copains t’en feront voir de toutes les couleurs.

 

Un peu plus tard, l’adolescente rejoignit Sébastian à la cantine. Le cuisinier, un gros homme jovial nommé Zavrapa, leur fit mille recommandations.

— Ce sont de sales gosses, grommela-t-il dans sa barbe. Et méchants avec ça ! On pourrait même dire dangereux. Je vous conseille d’ouvrir l’œil.

— Ça fonctionne, cette histoire de froid ? interrogea Sebastian, pratique.

— Oui, dit Zavrapa. La bête déteste se geler le bout des pattes. Avant, c’était une autre chanson. J’en ai vu de pauvres mioches disparaître dans les murs, un tentacule noué autour du ventre.

— Mais les cages ? s’étonna Peggy.

Le cuisinier haussa les épaules.

— Du pipeau, ma jolie ! La Bête les tordait et les éclatait comme si c’était du fer-blanc. Les chambres fortes, elle les ouvrait comme j’ouvre une boîte de haricots à la tomate. Le problème, c’est qu’on est en permanence à la merci d’une panne de compresseur. Si le système frigorifique cessait de fabriquer du froid, la température grimperait vite… et la Dévoreuse le sentirait. Elle ne mettrait pas longtemps à revenir faire son marché chez nous. (Il eut un mauvais sourire, baissa la voix, et ajouta :) Des fois, ces sales gosses m’énervent tellement que je dois me retenir d’aller saboter la machine, pour avoir la satisfaction de les offrir en pâture à la bête… mais, chut ! ça doit rester entre nous.

 

La nuit venue, Peggy Sue, Sebastian et le chien bleu se calfeutrèrent dans leur igloo tandis que Zavrapa se barricadait dans sa cuisine pour échapper aux mauvaises blagues d’Éric et de ses copains.

 

*

 

Dans les jours qui suivirent, Peggy Sue essaya vainement de nouer des liens d’amitié avec les enfants ; la plupart se détournèrent d’elle avec dédain car, à leurs yeux, elle n’était qu’une servante, et il eût été indigne de leur rang de « copiner » avec une inférieure.

Sébastian fit de son mieux pour organiser des séances d’escalade sur les murs, des courses de toboggan dans les escaliers gelés, et le chien bleu accepta de jouer le rôle du loup dans les jeux des garçons.

— Ça me plaît bien, confia-t-il à Peggy, le problème c’est que j’ai le plus grand mal à me retenir de les dévorer pour de vrai !

 

Peggy Sue, elle, sondait les murs et visitait les lieux. Dans les caves du bâtiment elle découvrit un grand nombre de cages tordues, aux portes arrachées. À n’en pas douter, la bête des souterrains jouissait d’une force peu commune.

 

Un jour qu’elle était plongée dans sa contemplation, elle entendit Éric ricaner dans son dos.

— Ça devait être super ! lança le garçonnet. Les tentacules qui sortaient des murs, tout ça… Ça devait être vraiment top…

— Tu sais qu’elle attrapait les gosses de ton âge pour les dévorer ? souligna Peggy.

— Oui, siffla l’enfant, mais au moins ils ne s’ennuyaient pas, eux ! Moi, j’aurais attendu l’arrivée des tentacules avec une hache… et tchac ! Tchac ! je les aurais coupés en rondelles, comme du saucisson.

— Toi, tu es très fort, se moqua Peggy.

— Bien sûr, se rengorgea Éric. Les autres, c’étaient des enfants pauvres, des fils de palefreniers, de valets ; ils ne savaient pas y faire. Moi, j’ai du sang de chevalier dans les veines.

— Peut-être que la Dévoreuse aime justement ça, le sang de chevalier, grogna la jeune fille, agacée par tant de vantardise.

— Un jour, murmura Éric, je saboterai la machine qui fabrique le froid… comme ça, la Bête reviendra, et je l’attendrai, avec mon armée de copains.

— Ne touche pas au compresseur, gronda Peggy, ce serait criminel.

L’enfant se dressa sur ses ergots et siffla d’un air dédaigneux :

— Tu n’as pas d’ordre à me donner… t’es qu’une petite servante de rien du tout. Si tu m’embêtes, je te ferai administrer dix coups de fouet par l’écuyer de mon père ; tu en garderas les fesses rouges pendant six mois !

— Sale petit… s’emporta Peggy Sue, mais déjà le gosse s’était enfui en hurlant de rire.

 

*

 

Chaque soir, Peggy, Sébastian et le chien bleu regagnaient l’igloo réservé aux moniteurs car il était impossible d’utiliser les lits du dortoir.

— J’ai essayé d’ouvrir l’un d’eux, expliqua la jeune fille, la couverture était tellement gelée qu’elle s’est cassée comme du verre ! Les draps ont l’air d’avoir été taillés dans du carton.

— Il faut se méfier de ces sales gosses, grommela Sébastian. À plusieurs reprises, au cours des activités sportives, ils ont tenté de me faire tomber dans l’escalier. Chaque fois, ils se sont poliment excusés, mais leurs sourires ne m’ont pas convaincu. Ils sont mauvais, ils ne veulent pas être surveillés. Nous sommes des gêneurs.

— Sûr qu’ils manigancent un truc pas clair, approuva le chien. Ils chuchotent dans les coins, ils complotent. Il serait utile de rester sur nos gardes.

 

Les trois amis obturèrent l’entrée de l’igloo au moyen d’un bloc de glace et allumèrent une petite lampe à huile. Sébastian fouilla dans la cantine cabossée des anciens moniteurs pour en tirer de quoi manger. Le soda avait gelé dans les bouteilles, les tablettes de chocolat étaient plus dures que du marbre. On se serait cassé les dents en essayant de les mordre !

— Il faut faire attention à ce qu’on boit, insista Peggy. L’une des gamines m’a avertie que le petit Éric avait endormi les précédents monos en versant un somnifère dans leur café. S’il recommençait, il lui serait facile de nous sortir de l’igloo pendant que nous dormons… et de nous laisser geler dans le couloir. Au matin, nous serions transformés en statues de glace.

— Je propose d’instaurer un tour de garde, lança le chien bleu.

— D’accord ! vota Peggy.

— Ouais, fit Sébastian qui essayait toujours de casser la tablette de chocolat en trois parts égales.

 

Le chien prit la première garde. Les adolescents s’endormirent pendant que la neige sortait des bouches de ventilation avec des ululements d’ouragan.

 

*

 

Le lendemain, Sébastian organisa une grande randonnée à travers les escaliers. On s’encorda pour escalader les marches que la glace avait entièrement recouvertes. Grimper jusqu’au dernier étage était à peu près aussi difficile que de s’attaquer à la paroi d’une montagne. Sébastian prit la tête de la cordée, le piolet à la main, des chaussures à crampons aux pieds.

— Cette fois, on va jusqu’au dixième étage ! annonça-t-il. Pas question de se dégonfler avant !

 

Les gosses grommelèrent. Il y avait belle lurette que les cours d’escalade ne les amusaient plus.

— On a déjà fait ça mille fois ! protesta Éric, c’est d’un ennui !

Refusant de les écouter, Sébastian donna l’ordre du départ. Peggy avait installé le chien bleu dans son sac à dos. L’effort la mit rapidement en sueur. Les escaliers formaient une immense patinoire inclinée à 45°. Si l’on dérapait, on glissait sur ce toboggan jusqu’au rez-de-chaussée sans pouvoir s’arrêter. Il fallait se montrer vigilant.

Entre deux manœuvres, elle surveillait les enfants, attentive à leurs chuchotements. Elle s’attendait à une fourberie.

« Ils vont couper ma corde, se disait-elle, et se débrouiller pour me faire perdre l’équilibre… »

Mais rien de tout cela ne se produisit.

 

À chaque palier, on découvrait un bonhomme de neige modelé lors d’une précédente expédition.

— Vous voyez bien qu’on est déjà venus ! trépignait Éric. On a déjà fait ça avec les autres monos. C’est casse-pieds ! Les escalades, le ski, la luge, on en a ras le bol !

— Tais-toi et grimpe ! ordonna Sébastian. Je suis sûr qu’il n’y a pas de bonhomme de neige au dixième étage. Ce sera un grand honneur d’un fabriquer un.

— Tu parles ! grommela entre ses dents le petit garçon.

 

Peggy Sue n’était pas tranquille, son instinct lui soufflait que quelque chose se tramait. Les enfants feignaient de grogner mais leurs yeux pétillaient de malice, comme s’ils préparaient une bonne blague.

 

Enfin, après avoir beaucoup transpiré, on atteignit le palier du dixième. À cette altitude les bouches de ventilation rugissaient, vaporisant dans l’air une tornade de flocons de neige.

— Au-dessus, expliqua la jeune Chloé, c’est le grenier. L’endroit le plus froid du bâtiment. On le surnomme le « freezer ». Des tas d’objets amusants y sont entreposés, mais on ne peut pas s’amuser avec parce qu’ils sont pris dans la glace. Il y a de belles poupées anciennes… en porcelaine, avec des robes magnifiques. Il faudrait creuser pour les récupérer. C’est trop difficile.

 

Peggy déboucha l’énorme Thermos que lui avait remise Zavrapa le cuisinier et distribua du chocolat bouillant aux enfants rassemblés autour d’elle. Sebastian, aidé des garçons, avait entamé la confection d’un bonhomme de neige géant.

« Nous ne devrions pas nous attarder ici, chuchota mentalement le chien bleu. J’ai un mauvais pressentiment. »

Peggy Sue essayait de conserver un œil sur Éric, mais les flocons de neige l’aveuglaient, rendant toute surveillance difficile.

Soudain, Chloé se jeta contre elle en sanglotant. Elle semblait effrayée.

— Que se passe-t-il ? s’inquiéta Peggy Sue.

— C’est Emma ! balbutia la petite fille. Elle est grimpée à l’étage du dessus, pour se faufiler dans le grenier… à… à cause des poupées… La porte s’est refermée sur elle ! On n’arrive plus à l’ouvrir.

— Ce n’est pas grave, fit Peggy. On va la sortir de là.

— Si, c’est grave ! trépigna Chloé. On ne peut pas rester plus de cinq minutes dans le « freezer » ! Elle est peut-être déjà morte !

 

Peggy appela Sébastian à la rescousse et lui expliqua la situation. Si la porte était coincée, la force herculéenne du garçon n’aurait aucun mal à en venir à bout.

Guidée par Chloé, les jeunes gens se hissèrent à l’étage supérieur.

— Emma ! Emma ! criait la petite fille. On arrive ! Tiens bon !

Une véritable tempête de neige les accueillit, leur coupant la respiration. Peggy distingua vaguement les contours d’un couloir étroit au bout duquel se découpait une porte encroûtée de givre.

— C’est là ! C’est là ! hurla Chloé d’une voix de souris qui vient de se coincer la queue dans un piège.

Sébastian expédia un coup d’épaule dans le battant d’acier blindé. Les charnières hurlèrent mais la porte s’entrebâilla. Les deux jeunes gens se glissèrent dans le grenier.

— Emma ? appela Peggy. Emma ! Où es-tu ?

Les parois du grenier disparaissaient sous un bon mètre de glace, à tel point qu’on se croyait vraiment à l’intérieur d’un iceberg.

« On dirait des vitrines, constata Peggy Sue. Il y a quelque chose à l’intérieur… sans doute les poupées dont parlaient Chloé. »

— Emma ? cria-t-elle de nouveau.

On n’y voyait pas grand-chose et elle craignait par-dessus tout de découvrir la fillette recroquevillée sur le sol, gelée. Elle ne se le serait jamais pardonné.

 

Un coup de tonnerre la fit sursauter. Elle se retourna. Chloé avait disparu et la porte d’acier venait de claquer dans leur dos.

— Bon sang ! gronda Sebastian. On s’est fait avoir ! Il n’y pas plus d’Emma ici que de pépites d’or dans un morceau de gruyère !

— Ils ont bloqué la porte ! constata l’adolescente. Essaye de l’enfoncer. Tu y arriveras peut-être…

Sebastian obéit. Hélas, ses assauts demeurèrent vains. Le battant de métal ne bougea pas d’un pouce.

— C’était ça le piège ! remarqua le chien bleu. Ils vont nous laisser geler ici.

— Mais non, plaida Sebastian. Ce n’est qu’une blague. Ils veulent juste nous faire peur. Ils vont rouvrir d’ici deux minutes.

— J’en suis moins sûre que toi, balbutia Peggy. Viens voir…

La jeune fille se tenait penchée sur la « vitrine » de glace recouvrant les murs, scrutant les ombres qui s’y tenaient recroquevillées. Sebastian la rejoignit.

— J’ai d’abord cru que c’étaient des poupées, gémit Peggy Sue, mais regarde…

— Ce… ce sont des humains ! bégaya le garçon.

— Oui, je crois qu’il s’agit des anciens moniteurs ! Tous ceux qui nous ont précédés. Eux aussi ont été victimes du même piège, et ils ont gelé au point de se transformer en statues ! Je commence à comprendre pourquoi Massalia nous a expédiés ici. C’est une épreuve de sélection ! Un test ! Nous ne sommes pas les premiers à qui le général demande de l’aide…

— Oh ! haleta le chien bleu, tu veux dire qu’il y avait d’autres super-héros avant nous sur sa liste d’embauche ? Je suis scandalisé ! Nous n’étions pas les premiers ? Quel camouflet !

— Voilà tout ce qui reste des précédents concurrents, expliqua Peggy en désignant la paroi de glace. De toute évidence, ils ont raté l’examen ! Les gosses de la colo les ont bernés. Massalia se sert d’Éric et de ses copains pour sélectionner ses champions… Si l’on ne survit pas à l’épreuve, il traverse de nouveau l’espace pour aller proposer l’affaire à quelqu’un d’autre.

— Le cochon ! s’indigna le chien bleu. Nous aurions dû être les premiers sur la liste ! Nous sommes les meilleurs !

— D’accord, j’ai pigé, soupira Sébastian. Mais le plus important c’est d’essayer de sortir d’ici avant de rejoindre ces pauvres diables dans la « vitrine » ! Le froid a tendance à me priver de mes forces, si nous attendons trop longtemps je serai bientôt aussi faible qu’un nouveau-né.

 

Pendant un quart d’heure les trois amis unirent leurs forces pour tenter de débloquer la porte. Cette débauche d’énergie, si elle restait sans effet sur le battant, avait au moins le mérite de les réchauffer, car la température à l’intérieur du « freezer » était celle d’un congélateur.

— C’est une porte blindée munie d’un système de verrous multiples, diagnostiqua Sébastian. Au lieu de s’acharner dessus, nous ferions peut-être mieux de contourner l’obstacle.

— Tu veux dire passer par le toit ? suggéra Peggy.

— Pourquoi pas ?

 

Les adolescents occupèrent les trente minutes qui suivirent à essayer d’atteindre le plafond du grenier. La glace rendait cet exploit impossible. Dès qu’ils se hissaient sur quelque chose, ils dérapaient et s’affalaient dans la neige tapissant le plancher.

— Je m’affaiblis, avoua Sébastian. C’est le froid… Ma force me quitte… Je suis capable de véritables exploits lorsqu’il fait chaud, mais l’hiver me prive de mes pouvoirs. Je suis désolé… je crois que nous sommes fichus.

Peggy voulut protester, puis elle réalisa qu’elle n’en avait plus le courage. La somnolence la gagnait ; cette somnolence sournoise qui prélude à la mort dans les espaces glacés.

— Reposons-nous un instant, gémit-elle. Blottis-sons-nous les uns contre les autres pour nous tenir chaud. Il ne faut pas s’endormir. Surtout pas !

Ils firent comme elle proposait. Très vite, la neige les recouvrit.

 

Ils commençaient à s’engourdir quand des coups sourds ébranlèrent la porte qui finit par s’ouvrir dans un jaillissement d’éclats de glace. Zavrapa, le cuisinier, se tenait sur le seuil, emmitouflé dans une parka polaire, une masse de fer au poing.

— Vous êtes encore vivants ? demanda-t-il. Ces sales gosses avaient bloqué le battant avec des coins de chêne. Le gel avait tout soudé. J’ai bien cru que je n’y arriverais jamais.

— Où sont-ils ? bredouilla Peggy en se redressant.

Elle dut répéter car ses dents claquaient tellement que ses paroles étaient incompréhensibles.

— Je ne sais pas, avoua le cuisinier. Ils ont essayé de m’enfermer dans l’office mais j’ai réussi à m’échapper par un conduit de ventilation. C’est encore une manigance du petit Éric… Il est descendu avec ses copains à la cave, en verrouillant toutes les grilles de sécurité derrière lui.

— Oh ! murmura Peggy. Je crois que j’ai compris… Il prépare une belle bêtise. Il faut se dépêcher de les rejoindre avant qu’un drame ne se produise.

 

Ils grelottaient tous, et même les crocs du chien bleu s’entrechoquaient avec des bruits de porcelaine brisée.

À la suite de Zavrapa, ils descendirent l’escalier pas à pas. La glace recouvrant les marches leur interdisait d’aller vite. Au premier faux pas, ils auraient dévalé les dix étages sur le dos, à une vitesse vertigineuse, pour s’écraser au rez-de-chaussée.

Alors qu’ils atteignaient le quatrième étage, le cuisinier fronça les sourcils.

— Hé ! souffla-t-il, vous ne trouvez pas qu’il fait chaud ?

— Il ne neige plus dans les couloirs, remarqua Peggy. Les bouches de ventilation ne crachent aucun flocon !

— Je vous dis qu’il fait chaud ! insista Zavrapa. Ce n’est pas normal. La température a monté d’au moins 10 degrés !

— Vous avez raison, s’exclama Sebastian, la glace fond… Regardez ! Il y a des flaques d’eau partout, et les stalactites gouttent comme des robinets mal fermés.

— C’est Éric ! lança Peggy Sue. Il a saboté le compresseur ! Tout l’immeuble va se réchauffer… Il m’en avait parlé mais je pensais qu’il s’agissait d’une simple vantardise.

— Pourquoi ? s’étonna Sébastian. Il en avait assez d’avoir froid ?

— Non, ce n’est pas ça… répondit la jeune fille. Il veut attirer la Dévoreuse pour l’affronter comme un chevalier. C’est une idée fixe chez lui. Il m’a dit qu’il s’ennuyait tellement qu’il préférait encore être emporté par un tentacule que de rester enfermé ici jusqu’à ce qu’il devienne trop grand pour intéresser encore la Bête.

— Quel petit idiot ! s’exclama le cuisinier.

— Non, moi je le comprends, fit le chien bleu. C’est vrai qu’on s’ennuie à mourir dans cette colonie de vacances. Et Sébastian ne vaut décidément rien comme moniteur !

— Toi, le cabot à cravate… commença le garçon, vexé.

— Ça suffit ! trancha Peggy. Descendons à la cave. C’est là qu’ils sont. Essayons d’empêcher le drame qui se prépare.

 

C’était plus facile à dire qu’à faire. À tous les étages la neige et la glace avaient commencé à fondre, donnant naissance à des cataractes qui menaçaient de se changer en inondation. Il pleuvait dans les couloirs et dans les chambres, partout où les stalactites se liquéfiaient.

Zavrapa consulta le thermomètre fixé sur le palier du troisième étage.

— Il fait déjà 7 degrés, annonça-t-il, et le mercure monte en flèche. Ces jeunes crétins ne se sont pas contentés de couper la congélation, ils ont aussi allumé tous les anciens radiateurs.

— Ils comptent sur la chaleur pour attirer la Dévoreuse, expliqua Peggy. Le dortoir n’est plus sécurisé. Il y fait chaud, et l’odeur des enfants rassemblés va éveiller l’appétit de la bête des souterrains.

 

Pataugeant dans la gadoue, ils atteignirent enfin le rez-de-chaussée. L’eau ruisselait sur les murs, coulait sous les portes. On se serait cru dans un navire en train de sombrer !

Peggy Sue prit la direction du sous-sol, là où étaient installées les machines contrôlant l’atmosphère du bâtiment. Une grille verrouillée les arrêta au seuil de la chaufferie. Les enfants s’étaient retranchés derrière cet obstacle. Éric paradait, le trousseau de clefs suspendu à sa ceinture. Il portait un curieux déguisement confectionné à l’aide de matériaux récupérés ici et là. Une marmite posée sur sa tête lui tenait lieu de casque, et il avait coincé un plateau de fer dans la ceinture de son pantalon pour se fabriquer une espèce de cuirasse. Dans la main gauche il tenait un grand couvercle inoxydable (sans doute un bouclier ?), dans la droite un tisonnier dont le bout avait été aiguisé.

— La chaudière a été poussée au maximum ! bredouilla le cuisinier. Il fait 28 !

On étouffait. Peggy et Sébastian durent ôter leurs anoraks.

— Éric ! cria la jeune fille, arrête de faire l’idiot ! Baisse le chauffage et ouvre cette grille !

— Pas question ! hurla le garçonnet. Je suis un chevalier, et j’attends l’arrivée du dragon… Je vais le décapiter et l’on n’entendra plus parler de lui ! Je deviendrai un héros, on me nommera roi de Kandarta.

Au comble de l’excitation, il sautait sur place en agitant son tisonnier. D’autres garçons vinrent se joindre à lui, pareillement affublés d’ustensiles de cuisine. L’un d’eux agitait dangereusement une hache d’incendie trop lourde pour lui.

— Il va se couper le pied ! ricana le chien bleu. Ça lui servira de leçon.

 

Peggy, cramponnée à la grille fermant l’accès de la chaufferie, essaya vainement de les raisonner.

— Nous sommes les chevaliers de la Table ronde ! brailla Éric, nous allons tuer la Dévoreuse, et je deviendrai roi !

Les gosses juchés sur les tuyaux poussèrent des cris de triomphe. Utilisant les marteaux et les clefs anglaises volés sur l’établi d’entretien, ils se mirent à frapper les canalisations en cadence, improvisant un concert assourdissant.

Sébastian empoigna les barreaux et commença à les tordre pour se ménager un passage. La chaleur excessive lui avait rendu ses forces. Il allait réussir quand un coup violent ébranla le mur de la chaufferie. Tout le bâtiment trembla sur ses bases.

Les enfants cessèrent aussitôt leur vacarme. Sur la paroi, les anciennes crevasses obturées crachaient des gravats et de la poussière de ciment.

— Elles sont en train de se rouvrir ! hurla le cuisinier. C’est la Dévoreuse ! Elle arrive !

Et, cédant à la terreur, il s’enfuit en courant.

 

Le reste se passa très vite, ne laissant pas aux adolescents le temps d’intervenir.

La muraille s’entrebâilla dans un nuage de poussière. De l’énorme fissure jaillit alors un tentacule bleuâtre qui ondula paresseusement au milieu des machines. La plupart des enfants poussèrent des cris de terreur, mais Éric et ses « chevaliers » se portèrent vaillamment à l’attaque.

— Montjoie ! Saint-Denis[7] ! lança-t-il en frappant le pseudopode avec son tisonnier. Ah ! Male-bête[8] ! Tu vas payer pour tes crimes !

Ses yeux brillaient d’excitation, et il se jeta dans la bataille avec un plaisir évident.

Malheureusement les choses ne tournèrent pas comme il l’avait prévu. Après avoir tournicoté deux fois autour de la salle, le tentacule se noua autour d’Éric et le souleva dans les airs.

— Vite ! cria Peggy, il faut le rattraper !

Sébastian défonça la grille et bondit dans la salle à l’instant même où le tentacule disparaissait à l’intérieur de la crevasse, emportant l’enfant avec lui.

Peggy Sue se précipita vers la lézarde mais Sébastian la retint.

— Attention ! souffla-t-il, tu vas tomber…

La jeune fille passa la tête dans l’ouverture. Ce fut comme si elle essayait d’apercevoir le fond d’un puits. Il faisait noir, et la faille s’ouvrait sur un abîme insondable. Une odeur détestable en montait. Un relent de poisson pourri ou d’ammoniaque. De très loin lui parvint l’écho des appels au secours d’Éric.

— Elle l’emmène… constata Sébastian. On ne peut plus rien pour lui.

— Il l’a bien cherché, marmonna le chien bleu. Je ne verserai pas une larme sur ce jeune imbécile, il m’a trop souvent tiré la queue.

Peggy s’empressa de faire évacuer la chaufferie. Cette fois, les gosses ne se firent pas prier pour regagner les étages. Sébastian coupa le chauffage et réenclencha le système de refroidissement.

 

*

 

Pendant deux jours les enfants restèrent abattus, puis ils se ressaisirent et retrouvèrent leur arrogance naturelle. Un autre garçon, prénommé Thibault, prit la place d’Éric et encouragea ses camarades à continuer le combat.

— Nous étions mal préparés, répétait-il, la prochaine fois nous serons mieux armés !

En les entendant, Sébastian hocha tristement la tête :

— Ils sont indécrottables, soupira-t-il. Nous voilà revenus à la case départ.

 

Heureusement, Massalia vint les délivrer avant que les choses ne tournent mal, et les trois amis quittèrent le congélateur géant avec un soupir de soulagement.

— Je suis satisfait, fit le général, vous êtes les premiers à sortir vivants du bâtiment. Tous ceux qui vous ont précédés ont échoué. Vous avez triomphé de l’épreuve haut la main. Cela augure bien de la suite des événements.

— Le jeune Éric a été capturé par la Dévoreuse, souligna Peggy.

— Je sais, fit Massalia d’un ton distrait. Au moins il a eu la chance de mourir en vrai chevalier, les armes à la main.

« Les armes ? ricana mentalement le chien bleu. Un tisonnier, oui ! Tu parles d’un honneur ! »

 

La Bête des souterrains
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